L’Antichambre de l’enfer
Cruelles leçons
Une fois installé sur ma couchette, j’ai remercié mon nouvel ami et nous avons commencé à parler. Je lui ai demandé depuis combien de temps il était là. « Six ou huit semaines », m’a-t-il répondu, et il s’est offert à me prodiguer quelques conseils. Par exemple, tout en parlant, je me frottais le bras à l’endroit où ils m’avaient tatoué. « N’y touche pas, m’a-t-il averti, la plaie risque de s’infecter. » À ma question : « Qu’en est-il exactement d’Auschwitz? », il m’a répondu sans détour : « C’est un endroit atroce. Personne n’en ressort vivant. » Il m’a alors emmené dehors et, montrant du doigt une cheminée, a ajouté : « La seule façon de sortir de ce camp, c’est par cette cheminée. »
Je voyais un grand bâtiment de briques rouges, mais je ne comprenais pas ce que mon ami voulait dire. Quand nous avions marché de la gare jusqu’à Birkenau le jour de notre arrivée à Auschwitz, une odeur de brûlé flottait dans l’air. Nous ignorions bien sûr qu’il y avait des crématoires dans ce camp. Comment un être humain normal aurait-il pu imaginer qu’au milieu du xxe siècle, des gens brûlaient des corps ? C’était tellement inconcevable qu’une telle idée ne nous aurait jamais traversé l’esprit. Mais en arrivant aux baraquements de quarantaine, nous avons commencé à nous demander ce qui se passait dans ce bâtiment. Les kapos indiquaient la cheminée en disant : « Voici ce qui vous attend ! » Le Ghetto, les camps de Poznań… tout cela avait été abominable. Pourtant, il n’y avait jamais été question de cheminées, ni de crématoires, ni de chambres à gaz.
Jakob m’a vite averti qu’il me faudrait être extrêmement vigilant au camp de quarantaine : les Allemands tenteraient de me tuer au travail, mais si je survivais, ils me transféreraient tout simplement dans un autre camp. J’ai rétorqué que j’arrivais tout juste d’un autre camp de travail et que les conditions ne pouvaient pas être pires à Auschwitz. « Oh que si ! », s’est-il exclamé. Malheureusement, il avait raison.
Beaucoup d’entre nous sont en effet morts d’épuisement au camp de quarantaine, où nous recevions très peu à manger. Tôt le matin, les gardes nous conduisaient aux chantiers : nous construisions des routes, nous creusions des fossés pour les égouts. Nous faisions tout cela parce que le camp était en pleine expansion. Comme il y avait beaucoup de prisonniers, nous n’avions pas à travailler 15 heures par jour, mais le travail était très dur. Nous aurions pu accomplir ces corvées beaucoup plus rapidement si nous avions eu droit à des brouettes pour transporter les pierres. Mais non, nous devions tout déplacer à mains nues. Je dirais que tout cela avait pour but de tester notre endurance à ce genre de tâche : si nous parvenions à survivre aux trois mois passés dans ces conditions, nous serions envoyés au camp D, le camp de travail des hommes à Birkenau.
Les atrocités commises au camp de quarantaine ont été terribles. Le docteur Mengele venait régulièrement nous rendre visite, bien qu’au début, nous ignorions qui il était. Accompagné d’officiers, il allait de baraquement en baraquement et choisissait des détenus pour toutes sortes d’expériences. Nous avons vu des hommes emmenés pour ne plus jamais revenir. Nous entendions des cris.
Puis il y a eu une sélection. Deux semaines après mon arrivée au camp de quarantaine, un kapo a fait le tour des baraquements pour annoncer qu’il y aurait une sélection et qu’aucun Juif n’irait au travail le lendemain. Les autres détenus sont partis et les Juifs sont restés dans les baraquements. Au début, j’étais ravi d’avoir un jour de congé. Naïf comme je l’étais, j’ignorais encore ce que signifiait la sélection : je m’imaginais que les Allemands allaient choisir les plus forts afin de leur confier un travail spécial. Pour moi, il s’agissait d’un jour de repos. Jakob était plus avisé. Ayant entendu dire qu’il fallait faire très attention durant une sélection, il m’a conseillé de bien me rappeler où je mettais mes vêtements quand ils nous ordonneraient de nous déshabiller, de me tenir bien droit et de ne poser aucune question.
Une heure plus tard environ, j’ai vu arriver le docteur Mengele. Il est entré dans notre baraquement escorté d’une demi-douzaine de SS et d’un homme en civil chargé de prendre des notes. Nous devions nous dévêtir complètement. Le docteur Mengele s’est assis, et nous avons défilé devant lui. Il indiquait qui allait à gauche, qui allait à droite. Lorsqu’un détenu était envoyé dans l’une des deux directions, le civil inscrivait son matricule.
Mon tour venu, j’ai remarqué que l’homme n’a rien noté. Je croyais que lorsqu’il inscrivait un numéro, cela signifiait que la personne allait être transférée dans un autre camp de travail ; Jakob m’avait en effet expliqué que parfois, un chanceux se voyait confier une autre tâche. M’imaginant avoir raté une occasion, je suis retourné vers le civil pour lui dire qu’il avait oublié d’inscrire mon matricule. L’un des gardes est intervenu. J’en pleurais presque. Je m’entêtais. Je ne voulais pas rester à Auschwitz. Je ne voulais pas finir dans les chambres à gaz. Je ne voulais pas finir au crématoire. Je ne voulais pas mourir dans ce lieu, et je continuais à me débattre. Finalement, le garde m’a assené une bonne poussée, me faisant tomber de l’autre côté, du côté de ceux dont le matricule n’avait pas été inscrit.