Libérer nos récits

Rachel bkgd

Rachel Shtibel

Naissance

1935 en Pologne

Expérience de survie

Au ghetto de Kołomyja puis en clandestinité

Libération

En avril 1944 à Kołomyja (Pologne, aujourd’hui en Ukraine)

Libérateurs

Armée rouge (Union soviétique)

En avril 1944, Rachel Shtibel avait passé plus d'un an cachée sous le plancher d'une grange. Elle partageait un abri souterrain peu profond avec neuf autres personnes, dont ses parents. Après avoir appris que leur ville de Kołomyja, en Pologne, avait été libérée, la famille Shtibel, contrainte de quitter la ferme où elle se cachait, s’est rendue dans la forêt voisine. Cela faisait des mois que Rachel ne s’était pas tenue debout et n’avait pas parlé autrement qu’à voix basse. Comment allait-elle attirer l'attention des soldats soviétiques?

Rachel jouant du violon. 1949.

L’aube pointait déjà lorsque nous avons atteint la route principale. Les tanks passaient lourdement l’un après l’autre, mais nous restions allongés dans le fossé au bord de la route en espérant que quelqu’un finirait par nous voir. Mon père m’apprenait le mot russe pour « Juive ». Il me faisait répéter « Ya Yévreïka » – « je suis juive ». Mais c’était inutile, car je ne parvenais pas à parler. Aucun son ne sortait de ma bouche et je ne parvenais qu’à bouger les lèvres pour former les mots.

Point n’a été besoin de leur dire qui nous étions. Ils ont compris.

La tante de Rachel, Mina Blaufeld (à gauche), Rachel, à l’âge de 5 ans (à l’arrière-plan, au centre) et des cousines de tante Mina. Date inconnue. (Photo trouvée dans l’étui du violon)

Au bout d’un laps de temps qui nous a semblé très long, un soldat nous a aperçues et a ordonné au tank de s’arrêter. Deux soldats en sont descendus et nous ont prises dans leurs bras.

J’avais peur de leur dire que j’étais juive. Lorsque nous nous étions échappés du ghetto, nous avions arraché nos brassards portant l’étoile de David qui nous identifiait comme Juifs. Et voilà qu’à présent je devais dire à ces soldats que j’étais juive ? En nous prenant dans leurs bras, les soldats soviétiques ont aperçu tout le groupe dans le fossé. Point n’a été besoin de leur dire qui nous étions. Ils ont compris.

Après la guerre, Rachel et sa famille ont mis au jour un étui à violon qui avait appartenu à son oncle bien-aimé Velvel. Ce dernier n'a pas survécu à la guerre, mais il avait enterré le violon avant que la famille ne soit forcée de s’installer au ghetto de Kołomyja. Bien des années plus tard, Rachel a réalisé que le contenu de cet étui à violon était plus important qu'elle ne le pensait. N'étant pas celle qu'elle pensait être, Rachel a commencé à faire apparaître au grand jour une vérité longtemps restée enfouie.

La mère biologique de Rachel, Nelly (à gauche), et la cousine d’oncle Velvel, Minka. Date inconnue. C’est la seule photo que Rachel possède de Nelly. (Photo trouvée dans l’étui du violon)

Je lui ressemblais. Mes parents avaient tellement veillé à garder son souvenir vivant en moi pendant toute ma jeunesse. C’est à moi que son violon avait été donné et moi seule devais en jouer. Dans l’étui, il avait déposé des photos de moi bébé, des photos de lui-même et une photo de sa cousine Minka avec une amie. Mais qui était cette amie ? Un agrandissement de la photo de Velvel était accroché au-dessus du piano à queue dans notre salle de séjour à Wrocław et une photo de moi-même à côté. Mes parents avaient souvent parlé de Velvel et de sa relation amoureuse avec Nelly. Je passais et repassais tous ces indices dans mon esprit. Velvel devait être mon père biologique. Nelly devait être ma mère biologique.

L’oncle de Rachel, Velvel, portant la chemise brodée qu’il revêtait habituellement lors de ses concerts. Date inconnue. (Photo trouvée dans l’étui du violon)

Après une découverte aussi traumatisante, j’avais besoin d’un exutoire pour mes émotions.

Rachel raconte son histoire à des étudiants. Markham, 2014.

À 58 ans, après une découverte aussi traumatisante, j’avais besoin d’un exutoire pour mes émotions. Je ressentais profondément le besoin de partager ma découverte avec d’autres. Au début, j’ai parlé de mon passé à mes petites-filles. J’étais résolue à leur apprendre ce qu’avait été l’Holocauste et à leur parler de ma propre enfance. Elles ont été très intéressées par mes histoires et m’ont demandé d’écrire un livre sur ma vie. L’idée de ressusciter ces souvenirs du passé m’effrayait. Avais-je le courage de revivre les cauchemars de mon enfance, les expériences horribles de l’Holocauste?

Je voulais que nos enfants et nos petits-enfants se souviennent et que le monde sache.