Skip to main content

Libérer nos récits

Pinchas bkgd

Pinchas Gutter

Naissance

1932 à Lodz (Pologne)

Expérience de survie

Au ghetto de Varsovie et dans des camps de concentration et de travaux forcés

Libération

En Mai 1945 à Theresienstadt (Tchécoslovaquie, aujourd’hui en République tchèque)

Libérateurs

Armée rouge (Union soviétique)

Unique survivant de sa famille, Pinchas Gutter avait douze ans en avril 1945, lorsque les nazis ont évacué le camp de travaux forcés de Colditz (Allemagne). Pinchas et ses codétenus ont alors été contraints à une terrible marche de la mort durant plus de deux semaines, jusqu'à leur arrivée au camp et au ghetto de Theresienstadt (Tchécoslovaquie). Pinchas, affamé au terme de la marche, arriverait-il à tenir si l'armée soviétique tardait à libérer le camp?

Image container 14

Pinchas, âgé de 14 ans environ, portant son nouveau costume après la guerre. Ascot (Angleterre), 1946.

Je me souviens très bien du jour de la libération. Ce matin-là, nous avons immédiatement remarqué que les gendarmes tchèques et les gardes allemands avaient disparu, puis des soldats de première ligne soviétiques, principalement des Tatars et des Ouzbeks, ont franchi les grilles. Au bout de quelques instants, nous nous sommes tous rués vers l’extérieur, et je me suis retrouvé au milieu d’un groupe de jeunes qui erraient dans les parages.

Tandis que je longeais un champ, j’ai remarqué deux chevaux qui paissaient, attelés à une charrette. Comme il n’y avait personne aux alentours, j’ai décidé de rester avec ces deux chevaux, fasciné, oubliant tout le reste. Je me suis assis par terre pour les observer, me rappelant le temps où je jouais avec les chevaux à la ferme de mon grand-père. Après quelques instants, j’ai pris mon courage à deux mains, je suis monté sur la charrette et j’ai saisi les rênes. « Wio! » (Hu!) ai-je alors crié en polonais, me rappelant des charretiers d’avant-guerre.

À mon arrivée à Theresienstadt, j’étais devenu le propriétaire de ces chevaux. Theresienstadt était désormais un camp pour ceux qui, comme nous, n’avaient nulle part où aller, et même si j’y avais un lit, je passais la plupart des nuits avec mes chevaux dans une grange que j’avais aménagée dans les ruines d’un bâtiment. Ils étaient devenus ma famille et j’y étais très attaché.

À mon arrivée à Theresienstadt, j’étais devenu le propriétaire de ces chevaux.
Image container 4

L'armée soviétique entre à Theresienstadt. Mai 1945. Crédit : Yad Vashem.

Image container 15

L'armée soviétique entre à Theresienstadt. Mai 1945. Crédit : Yad Vashem.

Pendant la guerre, Pinchas a appris à se détacher de toute émotion. Durant les décennies qui ont suivi sa libération, il s’est montré distant émotionnellement et a rencontré des difficultés à communiquer avec sa femme et ses enfants. Également sujet aux cauchemars, il était hanté par les souvenirs du ghetto et des camps de concentration. Après avoir lutté durant des années avec son passé douloureux, Pinchas a décidé de suivre une thérapie grâce à laquelle il a commencé à guérir.

Image container 13

Pinchas posant devant sa nouvelle voiture. Paris, 1950.

Mes maux se sont même aggravés à mesure que j'essayais de ressasser mes souvenirs. J'ai lutté pour y faire face. Bien que déprimé et anxieux, je m’efforçais de me lever tous les jours pour aller travailler car, tout en apprenant à vivre avec ce qui m'était arrivé pendant la guerre, je devais gagner ma vie. (…)

Chaque jour, je revivais l'horreur de l'Holocauste puis je m’efforçais de revenir à la réalité de mon quotidien, aux responsabilités d'un père de famille.

(...) mais, progressivement, mon état s'est amélioré.

Pinchas raconte son histoire à des étudiants. Halifax, 2019.

J'ai fait plusieurs rechutes – à chaque fois, des journées marquées par d'horribles difficultés – mais, progressivement, mon état s'est amélioré. Il faut beaucoup de temps pour soigner les maux de l'esprit.

Même après avoir subi un terrible traumatisme, après avoir souffert des troubles liés au stress post-traumatique, des dépressions et des cauchemars, il demeure tout de même possible de vivre décemment.

Plus important encore, on peut sortir pour raconter aux gens ce qui s'est réellement passé et tenter, peu à peu, de bâtir un monde un peu meilleur que celui que l’on a connu.