Blogue
S’inspirer de moments inoubliables pour réfléchir au futur des témoignages
Force est d’admettre que nous amorçons un tournant décisif en matière d’enseignement de l’histoire de l’Holocauste, et pas seulement parce que plusieurs survivants ne livrent désormais plus leurs récits de vive voix. On me pose régulièrement la question suivante : qu’arrivera-t-il quand il n’y aura plus de survivants pour nous faire part de leurs histoires en personne ?
Auditrice et témoin : mon rôle de partenaire d’écriture pour le projet En mémoires, du témoin au témoignage
« Personne / ne témoigne pour le / témoin », écrivait Paul Celan dans Gloire de cendre (la traduction est de Jean-Pierre Lefebvre). En 2017, je revisitais pour une énième fois les lignes de ce poème tandis que j’occupais la fonction de partenaire d’écriture dans le cadre du projet En mémoires, du témoin au témoignage, une initiative du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli en partenariat avec l’école d’éducation permanente G. Raymond Chang de l’Université Ryerson (maintenant l’Université métropolitaine de Toronto).
Témoin de l’Histoire : réflexion sur les mémoires In the Hour of Fate and Danger de Ferenc Andai
Fils d’un survivant de l’Holocauste, John Lorinc a tenté de faire la lumière sur l’expérience de guerre que son père ne pouvait exprimer.
Dans les souliers d’une autre
Laissez-moi vous raconter une histoire de chaussures. Dans le cadre de la semaine éducative sur l’Holocauste de 2019, j’accompagnais Judy Cohen, une survivante de 91 ans, à l’Université York où elle avait été invitée à donner une conférence.
From Fragment to Whole
In late 2014, the Azrieli Foundation’s Holocaust Survivor Memoirs Program received an extremely important submission — a 250-p...
Le tcholent : Une saveur du passé
Photo de la famille de Bronia. Légende : La famille élargie des Rohatiner avant la guerre. Bronia (à l’arrière plan, cinquième en partant de la gauche), à côté de sa sœur, Sarah. Leurs parents, Malka et Moses, sont assis au centre. Kozowa, Pologne, vers 1938. La simple lecture de la description des brioches à la cannelle fraîches de la tante de Bronia Beker et du pain noir épais et du gefilte fish (carpe farcie) que préparait la grand-mère de Steve Rotschild pour le repas du Shabbat me fait saliver. Je pourrais aisément rédiger un billet de blogue sur la plupart des plats juifs qui apparaissent dans nos mémoires, mais s’il y en a bien un qui semble être à la fois typiquement juif et propre à chaque auteur, c’est le tcholent. Créé afin de respecter l’interdiction de cuisiner le jour du Shabbat, ce ragoût se préparait avant le coucher du soleil le vendredi et mijotait toute la nuit dans un four à basse température pour que la famille puisse déguster un repas chaud le samedi après-midi. « La recette du tcholent n’a pas changé depuis 2 000 ans, même si les ingrédients varient de pays en pays et avec le temps. Le vendredi soir, on remplit une grande terrine en argile de couches de pommes de terre, de haricots, de l’orge, de viande et d’épices. On scelle le dessus de la terrine avec de la pâte préparée à base de farine, d’œuf, d’eau et de graisse de poulet fondue avant de la couvrir d’une feuille de papier que l’on attache à l’aide d’une ficelle. On place ensuite la terrine dans un four en brique chaud et on l’y laisse cuire lentement pendant 24 heures. Ce qui donne un délicieux repas chaud et aromatique. » – Steve Rotschild D’après l’historien de la nourriture Gil Marks, le mot tcholent serait dérivé du français chaud-lent, ou, moins vraisemblablement, du yiddish shul ende, qui décrit le moment où le plat doit être dégusté — « au sortir de la synagogue ». Photo de Steve Rotschild avec légende : Steve et sa mère avec la famille Dzeviatnikov. Anciens propriétaires de la maison où vivait la famille de Steve, les Dzeviatnikov ont ensuite aidé Steve à se cacher durant l’Holocauste. M. et Mme Dzeviatnikov se tiennent debout au second plan. Devant, de gauche à droite, on trouve Steve, Luba Dzeviatnikov, Esther, la mère de Steve, et Georgic Dzeviatnikov. Vilnius, 1938. Même si personne ne connaît l’origine exacte du mot tcholent, le plat reste sans aucun doute l’un des souvenirs du Shabbat les plus appréciés de nos auteurs. « Le samedi, nous avions toujours du tcholent au déjeuner. Ma mère préparait ce mijoté de haricots et de viande le vendredi, puis l’amenait à la boulangerie où il cuisait au four toute la nuit. Ensuite, le lendemain, après les prières, ma sœur et moi courions jusqu’à la boulangerie pour récupérer le plat. Nous avions un petit morceau de papier sur lequel était inscrit un numéro que nous tendions au boulanger, et il nous remettait le grand plat de tcholent de ma mère. Ma sœur en saisissait une anse et moi l’autre, et nous rentrions à la maison en courant car il fallait que le déjeuner soit servi rapidement. En chemin, nous nous délections à l’avance des arômes, de la délicieuse viande, de l’orge, des haricots et des pommes de terre. Nous savions également qu’un petit récipient en céramique contenant un kugel sucré pour le dessert était niché dans le plat de tcholent. » – Pinchas Gutter Encore aujourd’hui, j’entends les gens partager les doux souvenirs et les émotions qu’évoque un plat de tcholent. Chez eux, le mot tcholent suscite des émotions — que ce soit le souvenir d’un repas chez leurs grands-parents, d’un kiddoush après la shul ou de l’odeur incomparable qui parfume toute la maison les matins d’hiver. Je me sens pleinement concernée par ces émotions, même si je n’ai pas grandi avec cette tradition du tcholent. Les ragoûts du Shabbat sont préparés de multiples façons partout dans le monde et sous différentes appellations. Ma mère sépharade cuisinait un plat similaire appelé dafina, un ragoût marocain traditionnel composé de viande et de pommes de terre, mais également de pois chiches, de riz et d’œufs. Durant la dernière décennie, un tcholent ashkénaze plus traditionnel est régulièrement apparu sur notre table lors du Shabbat, grâce à mon beau-frère qui a appris à le préparer quand il étudiait dans une yeshiva. Ma recette pour mijoteuse a évolué avec le temps et illustre mes goûts aussi bien sépharades qu’ashkénazes. Ma recette actuelle se trouve ci-dessous. Les recettes du tcholent varient énormément d’une région à l’autre, et même d’une famille à l’autre. Vous ne trouverez jamais deux façons identiques de le confectionner. C’est un de ces plats qui évolue au fil des générations avec l’ajout ou le changement d’épices et d’ingrédients en fonction des préférences de chaque famille. L’auteur Pinchas Gutter a changé sa recette traditionnelle du tcholent afin de s’adapter aux membres végétariens de sa famille. Il partage sa recette here: Pour beaucoup, la nourriture demeure ce qui nous rattache à notre culture juive et constitue une grande partie de notre mémoire collective qui nous unit à l’histoire du peuple juif. Bien avant l’arrivée des mijoteuses et la mode des plats mijotés, nous avions le tcholent, cuit lentement dans un four chaud et hermétique. Nous rassembler avec les amis et la famille autour d’un plat de tcholent nous permet de faire surgir un peu du monde disparu du shtetl dans nos vies modernes. La recette du tcholent de Jody 2 tasses d’un mélange de haricots secs 1 tasse d’orge 2 gousses d’ail haché 2 oignons émincés 2 livres de viande de bœuf en tranches, coupées en trois portions 6 pommes de terre coupées en morceaux 3/4 tasse de ketchup 1 c.à.s. de paprika 1 c.à.c. de poivre noir 1 c.à.s. de sel le kishke (végétarien ou à la viande) 6 œufs entiers Ingrédients facultatifs : Dans une mijoteuse à haute température, versez tous les ingrédients, excepté ceux qui sont facultatifs, en suivant l’ordre de la liste et recouvrez-les d’eau (additionnée d’une canette de bière si vous le désirez). Je recommande de le préparer le matin pour qu’il soit prêt à être dégusté le lendemain au déjeuner. Le temps total de cuisson est d’environ 26 heures. Si possible, remuez le tcholent à intervalles de quelques heures durant la journée, puis baissez la température de la mijoteuse avant le Shabbat (coucher du soleil) et ajoutez les ingrédients facultatifs, le kishke et les œufs. Le terme kishke désignait autrefois des intestins farcis, mais il se réfère aujourd’hui à une saucisse farcie qui peut être végétarienne, mais qui est plus souvent à la viande, et que l’on trouve chez n’importe quel boucher kasher. Déposez le kishke sur le dessus du ragoût avant de baisser la température de votre mijoteuse. L’ajout d’œufs est typique de la recette traditionnelle marocaine. Laissez les œufs entiers sur votre plan de travail pendant la préparation du tcholent pour qu’ils soient à température ambiante lorsque vous les ajouterez. Plongez-les avec leur coquille dans le plat au moment où vous baissez la température de la mijoteuse. Le lendemain, au déjeuner, sortez les œufs du plat et enlevez leur coquille ; vous constaterez qu’ils ont pris une coloration marron et absorbé tous les arômes du tcholent. Jody Spiegel est directrice du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli.
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