Que renaisse demain
Elsa entre en Résistance
Au milieu de l’été 1942, nous revenions des champs un jour lorsque quelqu’un m’a dit que Leah demandait à me voir. Je l’ai donc rejointe aux cuisines, où elle bavardait avec une femme. Il s’agissait d’Irena Adamowicz, l’une des dirigeantes du mouvement scout polonais. Indignée par les injustices commises envers les Juifs, elle faisait son possible pour aider. Elle parcourait le pays, établissant des contacts avec les ẖaloutzim dans les grands ghettos, les informant du travail de la Résistance. Bien qu’il ait été dangereux pour les Juifs de se déplacer, quelques ẖaloutzot – comme Lonka, qui était passée à la ferme auparavant – parvenaient également à mener à bien leurs missions de messagères. Ces agents et agentes de liaison achetaient des armes qui étaient ensuite introduites dans les ghettos par les égouts. Il était très difficile de communiquer d’un ghetto à l’autre, pour discuter notamment des actions à prendre en cas de massacre, mais grâce à Irena, on savait comment les autres se préparaient.
Irena s’est entretenue avec moi un moment pour m’annoncer qu’on m’envoyait à Cracovie. Après m’avoir demandé ce que je pensais de la Résistance, elle a voulu savoir si je connaissais des prières chrétiennes. Je lui ai répondu que j’en avais appris beaucoup par coeur, car à l’école catholique que j’avais fréquentée durant des années, les élèves récitaient leurs prières tous les matins. Irena semblait satisfaite de mes réponses. Elle m’a ensuite donné l’adresse d’un couvent où je devais envoyer une lettre à la mère supérieure le septième jour de chaque mois pour faire savoir que j’étais toujours en vie. Toutes les fois que la Résistance aurait besoin de moi, on me ferait signe. Elle m’a également remis un livre de prières en disant simplement : « Sois prudente et bonne chance. » C’est le seul conseil que je recevrais. Le reste de ma formation, je l’acquerrais par moi-même sur le terrain. Je devais m’en remettre à ma seule intuition pour me sortir de situations dangereuses, tout comme le font les animaux ; ils ne réfléchissent pas au danger, ils le sentent proche et tâchent de l’éviter.
Le lendemain, des membres de la Résistance se sont organisés pour que Hela et moi nous rendions au village afin de nous faire photographier en vue de la préparation de nos papiers d’identité. Dvora m’avait prêté une jolie blouse et m’avait coiffée pour l’occasion. En traversant le village, Hela et moi craignions à tout moment qu’on nous reconnaisse comme Juives. Puis le photographe m’a surprise en me demandant mon nom de famille. Prise de court, j’ai lancé le premier nom qui m’est venu à l’idée : Elżbieta Orlanska. Et c’est ce nom à consonance aristocratique qui est apparu sur mes faux papiers. C’était un coup de chance, car il m’a été très utile par la suite pour obtenir d’autres documents requis par les autorités allemandes.
Quelques jours plus tard, j’ai pris le premier train à destination de Cracovie, munie d’un faux document stipulant que je venais de Rzeszów, ainsi qu’une lettre de Leah adressée à Laban (Abraham « Laban » Leibowicz), le chef de la Résistance du ghetto de Cracovie. Hela a été envoyée dans une autre ville l’après-midi même.
J’ai appris après la guerre que tous les membres de notre groupe restés à la ferme à Czerniaków avaient été envoyés au ghetto de Varsovie environ quatre mois après mon départ pour Cracovie. En avril 1943, quand les nazis ont donné l’ordre de rassembler tous les Juifs du Ghetto en vue d’une déportation massive, certains membres du groupe, qui habitaient au 18 rue Mila et appartenaient à l’Organisation juive de combat se sont rebellés. D’autres se sont simplement dispersés. La plupart d’entre eux n’ont pas survécu.
À mes amis de Czerniaków tombés au combat lors de l’insurrection du ghetto de Varsovie et à ceux qui ont été pris en mission hors de l’enceinte, emmenés à la Umschlagplatz – le lieu de rassemblement à l’intérieur du ghetto de Varsovie – puis tués sans pitié, je rends un hommage éternel.