Comprendre ce qu'est vraiment un génocide

Les mots qui renvoient aux massacres passés, tels « fasciste », « raciste », « nazi », « génocide » et « Holocauste », représentent une réalité historique ; néanmoins, ils sont souvent utilisés mal à propos en référence à des évènements actuels. Banaliser l’emploi de ces termes n’aura pas pour seul effet d’en diminuer le sens, cela atténuera également la portée des évènements que ces mots désignent. Suite à la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste le 27 janvier dernier, nous nous intéressons au sens du mot « génocide », et aux circonstances qui ont conduit l’avocat Raphael Lemkin à inventer ce terme pour décrire un crime horrible — crime qui, avant 1944, n’avait ni nom, ni conséquences juridiques.


Comprendre la signification du terme « génocide » et la souffrance humaine qu’il implique permettra aux étudiants de l’employer plus judicieusement et même d’évaluer l’usage qu’en font les autres.

Définir ce qu’est un génocide 

L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies définit le terme « génocide » comme suit :

« Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

  • Meurtre de membres du groupe ;
  • Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
  • Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
  • Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Susciter l’intérêt des étudiants sur les plans intellectuel, émotionnel et éthique

Associer la description faite par le Dr Gregory H. Stanton des dix étapes d’un génocide aux témoignages de survivants de l’Holocauste permet d’avoir une compréhension globale de la notion de génocide. Aidez vos étudiants à acquérir une compréhension intellectuelle du génocide et du processus qui amène à celui-ci. Une approche globale du terme requiert que vous enseigniez à vos étudiants quelles sont les conséquences humaines du génocide et la signification historique du terme, afin qu’ils prennent pleinement conscience de l’horrible souffrance que ce mot implique.

Les dix étapes d’un génocide

Le Dr Stanton a défini avec pertinence le génocide comme étant un processus, plutôt qu’un évènement isolé, lequel se développe en dix étapes qui ne suivent pas une progression linéaire (elles peuvent intervenir dans un ordre différent et aussi coïncider). Ces dix étapes sont présentées ci-dessous et illustrées par les témoignages de survivants de l’Holocauste.

La première étape du génocide est la classification, selon laquelle certaines cultures divisent les personnes en deux catégories, « nous et eux », en fonction de l’origine ethnique, la race, la religion ou la nationalité. Découvrez l’entretien vidéo de Margrit Rosenberg Stenge, dans lequel elle révèle avoir compris très tôt qu’on la percevait différemment des autres enfants allemands, durant son enfance à Cologne, en Allemagne, dans les années 1930.

La seconde étape du génocide est la symbolisation, qui intervient quand des noms ou des symboles servent à désigner les groupes ciblés. Si la classification et la symbolisation se développent dans un climat de haine, ces noms et symboles peuvent être imposés de force aux membres des groupes rejetés. Durant l’Holocauste, les Juifs de nombreux pays furent forcés de porter une étoile jaune, ils devaient coudre ce symbole sur leurs vêtements. Observez l’étoile jaune de Muguette Myers et celle qu’elle porte sur la photographie de classe prise en 1942 en France sous occupation allemande.

La troisième étape du génocide, la discrimination, intervient lorsque le groupe dominant utilise la loi, les coutumes et le pouvoir politique afin de nier les droits d’autres groupes marginalisés. Lisez le souvenir que relate Claire Baum des mesures antijuives mises en place par les nazis et leurs collaborateurs aux Pays-Bas au début des années 1940.

La déshumanisation, quatrième étape du génocide, intervient quand un groupe a recours à des mots ou des actions afin de nier l’aspect humain de l’autre groupe. Découvrez l’entretien vidéo de Nate Leipciger, dans lequel il décrit le processus de déshumanisation qu’il a subi à son arrivée au camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau en 1943. Lui et son père se sont fait voler leurs vêtements, leurs biens, leurs cheveux, et même leur identité.

Affiche à l’entrée d’un restaurant, à Vienne, en Autriche, sur laquelle est écrit : « Les Juifs ne sont pas les bienvenus ici ». 1938. Source : Yad Vashem.
Un survivant du camp de concentration de Buchenwald dévoile son bras tatoué. 1945. Source : Musée du mémorial de l’Holocauste des États-Unis, avec l’aimable autorisation de Stanley Moroknek.

La cinquième étape du génocide est l’organisation, la démarche officielle ou non-officielle entreprise par les États ou les responsables pour entraîner, armer et encourager la population à participer au génocide. Lisez les mémoires de Michael Kutz, dans lesquels il relate l’action menée par les nazis et leurs collaborateurs en 1941 pour rassembler puis massacrer les Juifs dans le village polonais où il vivait avec sa famille.

La sixième étape du génocide, la polarisation, renvoie aux mesures entreprises pour diviser les groupes, en attaquant les membres modérés du groupe oppresseur ainsi que les instances dirigeantes du groupe ciblé. Au cours de cette étape, les autorités tentent de priver les catégories stigmatisées de toute possibilité de se défendre. Malgré les tentatives des nazis pour affaiblir les Juifs, nombre d’entre eux se sont engagés dans des mouvements d’auto-défense et de résistance armée durant l’Holocauste. Regardez l’intervention de Michael Kutz à propos de son adhésion à une unité de partisans résistants en Pologne, en 1942.

La septième étape du génocide, la préparation, intervient lorsque les responsables organisent des tueries de masse, endoctrinent la population en leur inculquant la peur du groupe ciblé et dissimulent leurs véritables intentions. Découvrez la vidéo dans laquelle Leslie Meisels évoque les rumeurs qu’il avait entendues à propos de la « solution finale » des nazis, que le gouvernement hongrois, allié de ces derniers, présentait comme de la propagande de la part des Alliés.

La persécution est la huitième étape du génocide et comprend l’identification et la mise à l’écart des victimes en raison de leur ethnicité et de leur identité religieuse. Durant l’Holocauste, de nombreux Juifs ont été isolés dans des ghettos et dépourvus des ressources nécessaires à leur survie. Découvrez ce qui a poussé Arthur Ney à faire de la contrebande de nourriture dans le ghetto de Varsovie, en Pologne, entre 1942 et 1943.

Enfants dans le ghetto de Varsovie. Date inconnue. Source : Yad Vashem, avec l’aimable autorisation de Moshe Shalvi.


La neuvième étape du génocide est l’ « extermination », le massacre des personnes que les assassins ne considéraient pas comme pleinement humaines. « Extermination » est le terme utilisé par les responsables des tueries et relève du processus de déshumanisation de leurs victimes, même s’il s’agit bien d’un massacre. Durant l’Holocauste, le massacre était perpétré grâce à différents procédés, notamment le recours aux chambres à gaz. Lisez le témoignage de Helena Jockel à propos du crématorium qu’elle a vu à Auschwitz en 1944. On y brûlait les corps des Juifs tués dans les chambres à gaz, parmi lesquels celui de sa mère.

Des femmes et des enfants se dirigent vers la chambre à gaz N°4 dans le camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, en 1944.

La dernière étape du génocide est le déni, par lequel les responsables tentent de nier le crime qu’ils ont commis, au moment où ils le commettent et bien longtemps après la fin du massacre. Le déni de génocide par des personnes qui n’ont pas participé au crime peut aussi arriver. Dans ce cas, il permet de minimiser les expériences vécues par les personnes qui ont souffert durant le génocide. Découvrez comment Marian Domanski a trouvé la motivation pour écrire son histoire de survivant lorsqu’il a entendu un Canadien nier l’existence de l’Holocauste.

Pendant que les étudiants découvrent ces témoignages, invitez-les à établir un lien affectif avec ces récits. Demandez-leur de débattre sur la façon dont la définition et les récits personnels ont contribué à enrichir ou au contraire à remettre en question leur façon de concevoir les différentes étapes qui peuvent conduire au génocide et ce qu’est véritablement un génocide.

Dr Stephanie Corazza est chargée de l’éducation et du programme scolaire pour le Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli. Elle a obtenu en 2017 son doctorat d’Histoire à l’Université de Toronto. Ses recherches portaient sur les travailleurs sociaux impliqués dans les réseaux de sauvetage d’enfants en France durant l’Holocauste. Outre son expérience en tant qu’enseignante d’Histoire au premier niveau de l’enseignement universitaire, elle a également officié en tant qu’éducatrice et consultante en Histoire pour l’organisation Facing History and Ourselves.

Jasmine Wong est responsable de programme pour la branche canadienne de Facing History and Ourselves. Elle a obtenu un baccalauréat en éducation à l’Ontario Institute for Studies in Education de l’Université de Toronto, avant de passer plusieurs années dans les salles de classe, puis d’obtenir sa maîtrise à l’Université de Stanford. Elle travaille depuis 2010 à faciliter le parcours de l’apprentissage professionnel, et à accompagner les enseignants de Facing History dans leur enseignement en salle de classe.