Réflexions sur l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste

Stephanie Kessler

Stephanie Kessler, professeure d’anglais et d’histoire au Collège Reine-Marie de Montréal

Si vous songez à enseigner l’histoire de l’Holocauste en présentiel ou en ligne, mais que le sujet vous intimide, sachez qu’il s’agit d’une crainte bien commune. L’enseignement de cet événement historique complexe représente un défi même pour les pédagogues les plus chevronnés. Dans ce blogue, Marc-Olivier Cloutier, responsable des projets éducatifs du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste, s’entretient avec Stephanie Kessler, professeure d’anglais et d’histoire au Collège Reine-Marie de Montréal, sur son expérience de l’enseignement de l’Holocauste. Depuis plusieurs années, Mme Kessler intègre l’histoire de l’Holocauste à son curriculum en utilisant plusieurs des ressources du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli. Dans ce billet, elle nous fait part de ses conseils et réflexions quant à l’enseignement de cette facette de l’histoire, et nous expose la portée de cette pratique sur son propre parcours et celui de ses élèves.

Le programme éducatif sur les enfants cachés

La couverture du programme éducatif sur les enfants cachés

Quel conseil donneriez-vous aux pédagogues qui songent à ajouter l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste à leur curriculum ?

Malheureusement, au Québec, le programme d’histoire ne comprend pas de section détaillée sur l’Holocauste et n’offre qu’un bref survol des événements de la Seconde Guerre Mondiale. De plus, plusieurs enseignants considèrent qu’il s’agit d’un thème difficile à aborder, et étant souvent eux-mêmes peu informés, ils préfèrent éviter le sujet. D’abord, je les rassurerais en leur expliquant que le sujet n’est pas aussi ardu ou épineux qu’il n’y parait. Une foule d’informations et de ressources sont facilement accessibles. Le Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli et différents musées, principalement le Musée de l’Holocauste Montréal et le Musée memorial de l’Holocauste des États-Unis (USHMM), mettent à leur disposition une panoplie de ressources utiles. Il existe une foule de manières d’aborder le sujet en classe, tant auprès d’élèves de niveau primaire que d’élèves du niveau secondaire. La documentation est un bon point de départ, mais les élèves ont aussi besoin de mettre les événements en contexte. Par exemple, avant de présenter une histoire fictive en classe, je projette d’abord quelques courtes vidéos offrant un contexte historique ou j’invite les élèves à explorer le programme éducatif sur les enfants cachés préparé par la Fondation Azrieli. J’utilise aussi plusieurs mémoires publiés par la Fondation pour des projets de recherche ou pour des exercices de lecture approfondis. Ensuite, j’organise une rencontre en classe avec un survivant pour faire le point et solidifier les apprentissages. Lors de ces rencontres avec un auteur-survivant, les événements historiques de l’Holocauste prennent littéralement vie et deviennent une réalité tangible. Auprès des survivants, l’Holocauste n’est pas qu’une série d’événements passés un peu obscurs, mais bien une expérience réelle et ressentie. De vraies personnes ont souffert et de vraies personnes ont survécu. Mes élèves développent souvent un sens de l’empathie grâce à ces rencontres. Il est évident que ces activités apportent beaucoup aux élèves et aux enseignants, moi y compris.

Quelle place occupe l’enseignement de l’Holocauste dans votre salle de classe et qu’est-ce qui vous motive à présenter cette facette de l’histoire ?

L’Holocauste est le génocide le plus meurtrier de l’histoire moderne et il a marqué au fer rouge le vingtième siècle. L’enseigner permet d’engager une discussion sur d’autres génocides et sur différents événements de l’actualité. En tant qu’enseignante d’histoire et d’anglais, je crois fermement en l’importance du contexte. Il serait impossible de présenter des histoires ayant pour thèmes le racisme et les actes génocidaires sans m’être préalablement assurée que mes élèves comprennent le contexte duquel ces récits découlent. Par exemple, il serait difficile de parler de colonialisme sans évoquer des notions de génocide. Ainsi, je considère que l’ajout de l’Holocauste à mon curriculum est essentiel pour l’enseignement de la pensée critique dans le cadre des cours axés sur la justice sociale. Plusieurs des injustices qui ont accablé l’histoire moderne présentent des origines semblables et il est important de savoir déceler les signes avant-coureurs. Tous les génocides s’inscrivent dans un processus qui se développe en différentes étapes précises ; des signes qu’il est impératif de prendre très au sérieux. Je considère aussi qu’il est de notre responsabilité de brosser un portrait complet de l’histoire canadienne, incluant la description de nos propres politiques qui ont déjà compris des lois défendant l’esclavage et l’antisémitisme.

Après toutes ces années d’enseignement de l’histoire de l’Holocauste, est-ce qu’un moment précis vous a particulièrement marqué ? Quels aspects vous ont le plus frappés ?

Je ne pense à aucun moment précis, mais plutôt au fait qu’année après année, en approfondissant leur compréhension de ce qui s’est passé durant l’Holocauste, mes élèves sont toujours ébranlés par l’ampleur et l’horreur de ce génocide. Cette prise de conscience s’ancre encore davantage en eux lorsqu’ils découvrent le récit d’un survivant et qu’ils participent à une conférence. Chaque année, je suis témoin d’une transformation — l’Holocauste n’est plus pour eux un événement historique lointain, mais bien une réalité concrète qui a frappé des millions de personnes. Des vraies personnes qui auraient pu être nos amis, nos voisins et même nos enseignants. C’est cette prise de conscience qui me pousse à continuer d’enseigner l’histoire de l’Holocauste, mais aussi à parfaire mes propres apprentissages quant aux événements et quant aux meilleurs moyens de couvrir le sujet avec respect et intégrité.

Est-ce que l’actualité influence votre manière d’enseigner et plus particulièrement la façon avec laquelle vous analysez et abordez l’histoire de l’Holocauste ?

La montée de l’extrémisme observée partout dans le monde depuis quelques années m’a malheureusement donné beaucoup d’occasions d’aborder le sujet de l’Holocauste sous un angle actuel et familier. L’adage dit qu’il faut comprendre l’histoire pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Mais force est d’admettre que nous semblons collectivement voués à les reproduire. L’avancée des courants antisémites et islamophobes et le creusement des fossés en matière d’égalité raciale permettent de tracer des liens entre la propagande de l’Allemagne nazie et le discours ambiant d’aujourd’hui. Quand mes élèves apprennent à identifier les différentes étapes d’un génocide et à analyser celles qui ont été instaurées par le régime nazi au début de l’Holocauste, ils saisissent à quel point la démocratie peut être fragile. Les élèves ont besoin d’être connectés à ce qu’ils apprennent et de s’investir dans leur apprentissage. Et pour y arriver, une approche authentique inspirée de l’actualité est essentielle. De plus, la présente montée de l’extrémisme met en lumière le rôle que jouent les observateurs, les témoins, les spectateurs, les victimes et les bourreaux. Une question vient immédiatement à l’esprit : comment peut-on changer de trajectoire afin d’éviter un autre génocide ? Mes élèves en viennent souvent par eux-mêmes à la conclusion que ces violences pourraient très bien se reproduire dans nos sociétés si nous ne faisons pas preuve de vigilance.

Pour plus de conseils quant à l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste, consultez notre guide Premiers repères. Et pour en savoir davantage sur nos ressources éducatives et nos services d’accompagnement, visitez le https://memoirs.azrielifoundation.org/fr/education/.