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Always Remember Who You Are

« Je devais endosser une identité complètement nouvelle et oublier qui j’étais. La famille s’est rapidement attelée à m’enseigner les préceptes du catholicisme. »


Quand les nazis envahissent la Pologne orientale en 1941, la vie d’Anita Ekstein, enfant unique au sein d’une grande famille unie, sombre dans un climat de peur et de violence. La jeune fille, âgée de sept ans, et ses parents sont contraints de quitter leur foyer pour emménager dans le ghetto, d’où sa mère disparait soudainement. Alors qu’il tente désespérément de sauver sa fille adorée, le père d’Anita se lie d’amitié avec un catholique qui parvient à exfiltrer la fillette du ghetto, au péril de sa vie. Terrifiée et privée de l’affection de ses parents, Anita est initiée au catholicisme par les inconnus qui la cachent. Après la guerre, elle parvient à surmonter le deuil de ses parents et les problèmes identitaires qui l’accablent pour honorer la dernière demande de son père : « N’oublie jamais qui tu es (Always Remember Who You Are). »

Anita avec ses parents, Edzia et Fisko. Synowódzko Wyżne, Pologne, 1937.

Une évasion miraculeuse

Nous ignorions où ma mère avait été emmenée. Personne ne savait ce qui se tramait dans cette région de Pologne. Des rumeurs d’assassinats au gaz circulaient mais qui pouvait croire à de telles histoires? Les nazis dissimulaient délibérément les informations à leurs victimes par crainte de résistance ou de représailles. Ils étaient passés maîtres dans l’art de la tromperie.

Après cet incident, mon père semblait avoir perdu tout espoir, seule la protection de sa fille unique lui importait. Il savait que si je restais dans le ghetto, je serais arrêtée lors de la prochaine Aktion. Même si mon père ne savait pas exactement ce qu’il advenait des personnes déportées, il comprenait qu’elles ne reviendraient pas. Nous avions entendu dire que les transports qui partaient de notre région avaient pour destination un camp situé dans la petite ville de Belzec.

Des rumeurs terrifiantes circulaient, on racontait que des meurtres de masse y étaient mis en œuvre. Mon père ne cherchait plus à me cacher la vérité. Alors qu’il tentait désespérément d’assurer ma survie, il m’expliquait clairement ce qui se passait. J’avais confiance en mon père et je savais qu’il ferait tout en son pouvoir pour me sauver.

[…]

Quand les Allemands ont compris que l’expertise comptable de mon père leur serait d’une grande utilité, ils l’ont transféré dans un bureau situé en ville. Mon père y a rencontré des non-Juifs qui étaient autorisés à vivre en dehors du ghetto. Il s’est rapidement lié d’amitié avec un Polonais catholique, Josef Matusiewicz, qui avait été transféré de son village pour s’occuper de la gestion des stocks dans notre ville.

Après la disparition de ma mère, mon père ne savait plus vers qui se tourner ni quoi faire. Il redoutait le jour où, en rentrant du travail, il découvrirait que j’avais disparu à mon tour. Mais demander à Josef de m’aider était dangereux. Dans la Pologne sous occupation allemande, des lois strictes interdisaient à quiconque de venir en aide aux Juifs, notamment en leur procurant de la nourriture ou une cachette. Toute personne prise ou même accusée d’une telle action risquait sa vie et mettait en danger sa famille et parfois même sa communauté. Lorsqu’il a accepté de me prendre avec lui, Josef savait qu’il enfreignait les règlements nazis. Il n’était pas un proche de la famille et je ne le connaissais pas. De nombreuses années plus tard, j’ai pris connaissance du déroulement de la nuit où il a annoncé à sa femme qu’il voulait cacher une fillette juive dans leur maison. Il lui a expliqué la situation et ce qui lui avait été demandé. La fille adoptive de Josef, Lusia, m’a révélé que sa mère, Paulina, avait été consternée par sa requête : « Es-tu devenu fou ? Tu veux amener une petite fille juive dans notre maison? Tu vas mettre nos vies en danger, tu ne peux pas faire ça! » Je crois que Josef était un homme extrêmement courageux, puisqu’il a répondu que Dieu leur viendrait en aide. Sa famille était très religieuse et croyait fermement que Dieu leur viendrait en aide. Josef avait vu le désespoir sur le visage de mon père et il ne pouvait détourner le regard. C’est ainsi que, malgré les risques encourus, ils ont accepté de m’accueillir.

Mon père a essayé de me préparer à ce nouveau bouleversement. Il m’a expliqué qu’il était primordial que je comprenne qu’il ne pouvait plus assurer ma sécurité. Chaque jour passé au ghetto m’exposait à de nombreux risques. Je savais qu’être Juif était dangereux. Ma mère avait déjà disparu. Je ne voulais pas perdre mon père aussi. Il m’a assuré que je vivrais avec des gens bienveillants qui prendraient soin de moi, que ma vie avec eux serait bien meilleure que dans le ghetto. Étant enfant unique, j’ai été extrêmement protégée jusqu’à notre emménagement dans le ghetto. Inutile de dire qu’après y avoir passé un an, ce n’était plus le cas. Je ne voulais pas partir, mais mon père m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix. Je devais y aller. Sinon, je risquais de mourir. J’avais contemplé la mort dans le ghetto, mais je ne sais pas si à huit ans, j’en saisissais la signification. Je savais seulement que c’était définitif.

Mon père m’a rassurée en me disant qu’il irait bien et que nous nous retrouverions bientôt. « Ça ne sera pas long. Tout ira bien. Je viendrai te voir et je te ramènerai à la maison… » Il m’a fait les promesses que tout parent ferait à son enfant de 8 ans. Ainsi, lorsque que Josef Matusiewicz est venu me chercher, je suis partie avec lui. J’étais terrifiée car je ne connaissais pas cet homme croisé à quelques occasions seulement. Je ne voulais pas quitter mon père.

La poste qu’occupait Josef Matusiewicz lui donnait un accès privilégié au ghetto, autrement restreint. Une nuit, il a réussi à pénétrer dans l’enceinte pour venir me chercher. Au moment de dire au revoir à mon père, je me suis accrochée à lui, sans vouloir le relâcher. Ne pouvant davantage retarder l’inévitable, Josef m’a cachée dans un grand sac et m’a fait sortir du ghetto, comme un sac de pommes de terre. On m’avait sommé de ne pas faire de bruit, de ne pas bouger et de ne pas attirer l’attention. Des années plus tard, j’ai appris qu’un poste de police était situé juste à côté de l’endroit par lequel nous avons quitté le ghetto. Je ne sais pas comment Josef est parvenu à m’exfiltrer. Mon évasion relevait du miracle.

À propos de l'auteure

Anita Helfgott Ekstein est née le 18 juillet 1934 à Lwów en Pologne (aujourd’hui en Ukraine), et a grandi dans la petite ville de Synowódzko Wyżne au sud du pays. Seule rescapée de sa communauté, Anita a retrouvé sa tante Sala après la guerre. Ensemble, elles ont émigré à Paris en 1946, puis à Toronto en 1948. Le 5 juin 1955, Anita a épousé Frank Ekstein avec qui elle a eu trois enfants. En 1985, Anita et son fils ont été diplômés de l’Université York, Anita validant un baccalauréat en psychologie. Bénévole dévouée au Circle of care, un centre destiné aux personnes âgées, Anita participe également à un groupe d’étude affilié au Conseil national des femmes juives du Canada. Elle se consacre aussi à l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste depuis 1989 et a d’ailleurs fondé une association destinée aux enfants survivants et aux enfants cachés qui ont émigré à Toronto. Elle a présidé la Marche des vivants à trois reprises, en plus d’y avoir participé dix-huit fois en tant que survivante. Aujourd’hui encore, Anita est une conférencière de premier plan au Neuberger Holocaust Education Centre de Toronto. Elle a reçu de nombreux prix et hommages, et grâce à ses efforts, les membres de la famille Matusiewicz, ses sauveurs, ont obtenu le titre de Juste parmi les Nations délivré par Yad Vashem.

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