Étoile jaune, étoile rouge
Le massacre de Rokitno
Ces horreurs ont culminé et trouvé un terme fatal le 26 août 1942. Ce jour-là, toute la population juive de Rokitno a reçu l’ordre de se rassembler sur la place du marché. Cette fois-ci, personne n’était exempté, ni les bébés, ni les vieillards, ni les grands malades. Ceux qui ne pouvaient pas marcher ont été transportés sur des civières ou à dos d’homme. Les soldats allemands, la police allemande et la police ukrainienne encerclaient la place. Ils ont commencé par séparer les enfants, les femmes, les hommes et les vieillards. La peur et le chaos ont gagné la foule. Bientôt, la place s’est emplie de hurlements assourdissants et de gémissements. C’était l’affolement général. Les enfants s’agrippaient à leur mère. La foule essayait de protéger les vieillards et les malades.
Tout à coup, un hurlement aigu s’est élevé : « Juifs, ils vont tous nous tuer maintenant. » C’était Mindl Eisenberg, une grande femme, forte et courageuse, surnommée « la Cosaque », qui avait vu l’escadron de police arriver depuis la gare et qui alertait la foule. Les gens, paniqués, se sont mis à courir de toutes leurs forces. Les hommes couraient pour essayer de retrouver leur femme et leurs enfants. Tout le monde essayait de s’enfuir. Seules les balles pouvaient les arrêter. Les gardes ont tiré sur la foule et des dizaines de personnes ont été tuées sur-le-champ, baignant la place de sang. Dans cet enfer, mon frère de 17 ans, Samuel, m’a trouvé, m’a attrapé par le bras et nous nous sommes mis à courir…
C’est la dernière fois que nous avons vu notre mère, notre père et notre petit frère de 5 ans, Moïshé. Nous avons appris plus tard que notre père avait été capturé avec d’autres qui avaient survécu au massacre de la place du marché et avait été emmené dans la région de Sarny, à une quarantaine de kilomètres. À la périphérie de Sarny, dans les ravins voisins de la briqueterie, il a été fusillé avec environ 18 000 autres Juifs qui ont trouvé une mort affreuse dans cet horrible endroit. Des témoins du massacre disent que le sol, couvert de centaines de corps, a remué pendant des jours parce que des gens avaient été enterrés vivants.
Nous n’avons jamais su exactement ce qui était arrivé à notre mère et à notre frère cadet.
Mon frère et moi nous sommes enfuis de la place du marché et avons gagné la maison de l’officier allemand qui avait promis de sauver Samuel. Nous nous sommes introduits dans la maison par la fenêtre de derrière mais, malheureusement, nous nous sommes trouvés nez à nez avec le chef cuisinier polonais. Sans hésiter, mon frère m’a pris par la main et nous sommes sortis en courant par la porte de derrière qui donnait sur le jardin et, de là, nous avons gagné la forêt. Nous avons rampé sous les wagons du train qui avait été affecté, je le sais maintenant, au transport des Juifs vers Sarny et nous nous sommes échappés dans la forêt. Là, nous avons continué à courir à toutes jambes.