Traqué
Le départ du Ghetto
Je pressentais que ma survie dépendait de mon éloignement du Ghetto. J’ai trouvé un moyen de me rendre à Dubeczno, grâce au chef de gare d’un des petits villages où j’avais l’habitude d’aller. Un train pour Chełm, dans la région de Lublin, passait quotidiennement par cette gare dans laquelle il s’arrêtait brièvement. Après avoir obtenu cette information, j’ai décidé de rapidement mettre mon plan à exécution. En avril 1942, j’ai dit adieu à mes chers amis, les Cytryn, qui m’avaient traité comme l’un des leurs. Je connaissais beaucoup de trajets pour aller et venir hors du Ghetto et je ne voulais pas prendre le risque d’être capturé à la gare en quittant Otwock ou d’attirer l’attention en achetant un billet. Je me suis donc rendu à la gare du village où j’avais recueilli les renseignements du chef de gare et c’est là que je suis monté à bord du train.
Le voyage jusqu’à Dubeczno, avec le changement à Chełm et les divers autres arrêts, m’a pris 24 heures. Le trajet m’a semblé interminable et je m’inquiétais, car il était interdit aux Juifs d’utiliser les transports publics – je m’attendais toujours à ce que la police allemande arrête le train et vérifie l’identité des passagers. Je n’ai pas dormi – ou, si je l’ai fait, je n’ai pas distingué mes cauchemars de mes peurs conscientes. Par chance, la police militaire n’a pas contrôlé le train. Je suis arrivé sans problème au terminus, la station avant Włodawa. On avait changé les itinéraires des trains et celui-ci n’allait pas plus loin. J’ai donc été obligé de continuer à pied. J’ai marché avec d’autres voyageurs jusqu’à Włodawa. Il faisait presque nuit et nous voyions les contours de la ville se dessiner petit à petit à travers un épais brouillard.
Au moment où je suis arrivé, il faisait nuit et j’ai eu peur de marcher dans les rues de Włodawa à la recherche de mes autres parents, des cousins du côté de ma mère qui vivaient là. J’ai plutôt décidé de me rendre directement chez mon oncle. J’ai demandé à des passants quelle direction prendre pour aller à Dubeczno et une personne m’a finalement montré le bon chemin. Je me sentais inquiet et fatigué, j’étais seul, dans le noir, à la périphérie de la ville, au milieu de nulle part. Je connaissais tous les dangers que courait un Juif à la fin avril 1942. J’avais conscience que j’étais dans les faubourgs, mais je ne savais pas exactement où je me trouvais. J’ai décidé de chercher un endroit où passer la nuit, comme je l’avais fait lors de mes précédents voyages – en demandant au soltys. Je ne saurais dire si le procédé existait avant la guerre ou si les Allemands l’avaient institué, mais, pour moi, il était providentiel.
En quête du soltys, je me suis retrouvé sur une route longeant des fermes isolées, éloignées les unes des autres. Ces maisons étaient des sortes de cabanes aux toits de chaume. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis entré dans l’une d’elles pour demander mon chemin. J’ai expliqué que j’avais besoin d’un mot afin d’obtenir un abri pour la nuit. Les occupants étaient accueillants et semblaient heureux d’avoir de la visite. Ils ont ri de la façon très formelle dont j’essayais de trouver à me loger et m’ont dit que le soltys vivait très loin de là. Il faisait déjà sombre, aussi le fermier m’a-t-il convié à rester. Évidemment, la famille m’a posé mille questions pendant le repas et, bien que très fatigué, j’ai trouvé les réponses presque naturellement. Ma récompense pour ces quasi-mensonges a été un lit chaud et un bon petit déjeuner le lendemain matin. Quelle gentillesse et quelle hospitalité de la part d’étrangers ! Auraient-ils agi de même s’ils avaient su que j’étais juif ?