Au fil d’un nom
Trois semaines
Il faisait nuit mais le lieu était éclairé de puissants projecteurs. J’ai pu distinguer des SS allemands munis de mitraillettes et de chiens. On nous a donné l’ordre de sortir des wagons sans prendre nos bagages. La nuit était froide, mais claire, et la scène incroyable. Les SS couraient le long du train avec leurs bergers allemands, hurlant leurs ordres, abattant des gens ici et là. Des milliers de personnes prises d’une panique absolue emplissaient la nuit.
On nous a ordonné de nous mettre en rang par cinq le long des wagons. Des gens aux allures de prisonniers et vêtus de pyjamas à rayures bleues et grises sont alors apparus. Ils ont commencé à retirer les cadavres et les bagages des wagons. J’étais en rang à côté d’un wagon ouvert et l’un de ces hommes m’a demandé tout bas si je parlais yiddish. Je lui ai répondu que oui, et il m’a murmuré d’essayer de quitter ce lieu aussi vite que possible car on y massacrait notre peuple. Il m’a conseillé de dire que j’avais 18 ans, même si ça n’était pas vrai. Tandis que la file avançait, plusieurs personnes ont été abattues pour être sorties du rang ou avoir essayé de rejoindre le reste de leur famille dont on les avait brutalement séparées. On avançait lentement. Je me suis retrouvé devant une table derrière laquelle étaient assis deux hommes. L’un d’eux m’a demandé mon nom, mon âge et ma profession. J’ai répondu que j’avais 18 ans et que j’étais fermier. Il m’a indiqué la colonne de droite.
J’ai regardé autour de moi : je ne connaissais absolument personne. J’ai alors été pris de panique en me voyant seul et démuni dans cet enfer. Je pleurais intérieurement : qu’est-ce que je faisais là ? Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter un tel sort ?