Chapitre 1

De retour

« [J]’ai commencé à me demander sérieusement si je ne parviendrais jamais à m’adapter à une vie normale. On m’avait dépouillé de ma jeunesse, de ma famille, de mes amis, de ma ville et de sa communauté juive. J’avais survécu à des conditions inhumaines. Je savais qu’il me faudrait beaucoup de temps avant de pouvoir surmonter la douleur de tous les sévices que j’avais subis au cours de mes jeunes années. »

Michael Kutz

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De jeunes adultes posent pour la photo de classe. Leurs enseignants – un homme, un prêtre et une religieuse – sont assis au centre.

Agnes Tomasov (1er rang, 3e en partant de la droite) et son amie Magda (1er rang, tout à droite) avec leur classe de dernière année d’études secondaires. Bardejov (Slovaquie), 1948. Agnes et Magda étaient les deux seules filles juives de la classe. Fondation Azrieli, avec l’aimable autorisation d’Agnes Tomasov.

À la fin de la guerre, les survivants étaient désormais libres, mais le monde qu’ils avaient connu auparavant était en ruine. Les communautés juives autrefois florissantes avaient été détruites et les familles, déchirées.

Dans un tel contexte, de nombreux jeunes ont tenté de reprendre le cours normal de leur vie, notamment en retournant à l’école.

Qu’ont-ils ressenti en essayant de surmonter les tragédies qu’ils avaient vécues et de reprendre le cours de leur vie ?

Apprivoiser la liberté retrouvée

« Après avoir passé des années dans des baraquements et derrière des barbelés, nous retrouver dans une vraie maison dépassait l’entendement. Je pouvais sortir et rentrer quand je voulais. Je pouvais faire comme bon me semblait. De la fenêtre du quatrième étage, contemplant l’horizon qui s’ouvrait au-delà des toits de tuiles rouges, j’avais l’impression que des possibilités illimitées s’offraient à moi. Je savais comment m’organiser dans un univers anormal, mais que faire sans diplôme ni formation dans un monde où régnaient la liberté et le respect de la légalité, où tout était possible ? Je menais une vie sans but. Il est vite devenu évident qu’il fallait que je poursuive mon instruction avant tout […] En 1939, un brillant avenir m’attendait. J’avais hâte de terminer mes études et de me lancer dans un métier, avec toute la vie devant moi. En regardant ce terrain vague, j’avais l’impression qu’il ne restait plus rien de tout cela. Je n’avais reçu aucune formation, je n’avais nulle part où aller. Il ne me restait désormais qu’à prier Dieu pour que ma mère et ma sœur soient encore en vie. »

Vivre parmi les ruines

« Pour la première fois de ma vie, j’allais à l’école […] Cette première journée a été difficile pour moi, mais je n’en avais pas moins conscience qu’un nouvel univers enthousiasmant s’ouvrait à moi. Je n’ai pas tardé à me sentir très bien à l’école, où je côtoyais d’autres enfants juifs et où je pouvais utiliser mon prénom juif, Rachel. Mais les horreurs que j’avais connues dans le ghetto et l’abri souterrain continuaient de me hanter […] Chaque jour, mon trajet jusqu’à l’école me rappelait la guerre : ruines d’édifices bombardés, murs criblés d’impacts de balles, tombes du cimetière. Trop de souvenirs m’assaillaient. »

Un retard à rattraper

« J’ai deux ans de retard par rapport aux enfants de mon âge […] Je travaille avec sérieux, je l’ai promis. Mais, être dans les dernières, c’est décourageant ; au lieu de 8 ans, comme mes camarades, j’en ai 10 ! J’ai besoin de mon père pour remonter la pente ! Non, je ne suis pas heureuse. “Rien ne sera comme avant, répète ma mère, il faut se faire une raison.” »

L’éducation pour panser les plaies

« [Le] directeur [de l’école] était un Allemand du nom de Paulus Geheeb […] Nos expériences en tant qu’enfants de 12 pays différents étaient si diversifiées, si uniques, que Paulus, je crois, avait choisi délibérément de créer un environnement le plus normal possible ; c’était primordial pour lui […] [N]ous devions voir nous-mêmes à nos besoins quotidiens et tout faire par nous-mêmes. Je crois que, d’une certaine façon, il s’agissait d’un processus de guérison […] Il croyait réellement à l’importance du travail dans l’éducation des jeunes. Le travail physique nous permettait d’être une unité fonctionnelle et indépendante. Nous apprenions comment faire les choses, comment partager et comment négocier avec les autres enfants quand venait le temps de distribuer les tâches. En récompense, nous éprouvions la satisfaction que procurent le travail physique et ses résultats. »

La création d’une école en Roumanie

« Il n’y avait malheureusement pas d’école secondaire à Dorna, mais je connaissais tellement d’enfants de mon âge qui voulaient y aller que j’ai décidé d’en créer une. J’ai découvert une bâtisse vide, et avec un peu d’argent de la ville et quelques employés municipaux, je me suis arrangée pour la faire remettre en état […] J’ai obtenu le permis, mais malheureusement, quand je suis retournée à Dorna, j’ai constaté qu’il n’y avait plus aucune fenêtre sur la bâtisse. Tout avait été volé : les poignées et les portes, les matelas et les ustensiles de cuisine, et même les ampoules électriques. Il ne restait rien. En une semaine, l’immeuble non gardé avait été entièrement pillé. Il n’y avait plus aucun moyen d’avoir une école maintenant. »

Lecture

Une vie à soi

01:11

Kitty Salsberg (avec sa sœur Ellen) savait qu’elle ne pourrait jamais réaliser ses rêves sans quitter la Hongrie.

Rêver d’études

« À 25 ans déjà, je savais que, si je ne retournais pas bientôt sur les bancs d’école, je n’y retournerais jamais. Je n’avais jamais vu l’extérieur d’une université, encore moins l’intérieur. J’avais toujours rêvé de faire des études, de devenir un jour quelqu’un. Et voilà qu’après 25 ans d’existence, mon plus grand accomplissement était d’avoir survécu à la guerre. »

Cohen 023

Chapitre 2

Les camps de personnes déplacées

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