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Retenue par un fil/Une question de chance

Boulevard des Marronniers

Mon père était très engagé dans l’Organisation sioniste hongroise et, contrairement à d’autres Juifs hongrois, il ne se berçait pas d’illusions en espérant que les Allemands et les Hongrois « civilisés » ne s’attaquent pas aux Juifs. Il prêtait foi aux histoires incroyables de persécutions que racontaient les réfugiés des pays occupés par les nazis ; il croyait même aux récits sur ces endroits inconcevables qu’étaient les camps de concentration et que rapportaient les quelques détenus qui avaient réussi à s’en échapper. Ce printemps-là, mon père était parvenu à me procurer de faux papiers. S’agissait-il de copies ou de faux fabriqués de toutes pièces ? Quoi qu’il en soit, ils m’ont ouvert les portes de la communauté hongroise chrétienne. Grâce à l’aide de Mária Babar, une fervente catholique qui avait autrefois travaillé pour notre famille, mes parents ont pris des dispositions pour me cacher chez les soeurs ursulines.

Ma mère avait pris une décision, aussi courageuse que douloureuse, en me conduisant sous les marronniers sauvages en fête vers le couvent des soeurs ursulines de la rue Stefánia, proche de Városliget, le parc de la ville dans lequel, il y a à peine quelques mois, je jouais encore avec ma bonne. Ma mère a fait retentir la sonnette au portail de la haute grille de fer noire entourant le couvent. Derrière elle, on découvrait un jardin dont, si je me souviens bien, l’herbe hirsute, qui avait grand besoin d’être entretenue, était parsemée de pissenlits jaunes. Lorsque j’ai réussi tout récemment à contacter les soeurs ursulines hongroises, elles m’ont envoyé la photographie du couvent tel qu’il était en 1944. Ma mémoire concernant la grille de fer était exacte.

Le jour où ma mère et moi sommes arrivées à la maison mère des Ursulines, une femme étrange, revêtue d’une longue robe noire, nous a ouvert la grille. On ne pouvait apercevoir qu’un coin de son visage derrière le strict bandeau blanc qui barrait son front et auquel était attachée une guimpe blanche amidonnée. Aucun cheveu ne dépassait derrière le voile de soie noire qui tombait du bandeau jusqu’au-dessous de ses épaules et qui était fixé par une épingle au sommet de sa tête.

C’était la première fois que je voyais une religieuse d’aussi près. Il m’a semblé que mon estomac se contractait autour d’un caillou que je n’avais pourtant pas avalé. C’est là une sensation dont je me souviens précisément, une sensation qui revient à chaque fois que je suis confrontée à une crise inévitable. Sans doute m’a-t-elle souri lorsque ses mains se sont échappées des larges manches de sa vaste robe pour s’emparer des miennes car, tandis que je la suivais le long de l’allée qui conduisait au pavillon de stuc jaune à deux étages, ce caillou dans mon ventre a commencé à disparaître.

Ma mère m’a certainement fait signe de la main lorsqu’elle s’est éloignée de la grille qui s’est refermée sur moi. Nous n’allions pas nous revoir avant un an. Comment m’a-t-elle dit au revoir ? Il se peut qu’elle ait dit quelque chose se terminant par pipikém (ma poulette), le terme d’affection qu’elle utilisait en hongrois à mon égard. Je me souviens seulement que je me suis sentie étrangement soulagée lorsqu’elle m’a autorisée à suivre toute seule ma nouvelle compagne. Autour de la taille de cette femme vêtue de noir se balançait un cordon de grandes perles orné d’une croix qui rebondissait à chacun de ses pas vifs. Lorsqu’elle a ouvert la porte d’entrée, elle s’est adressée à moi pour la première fois en utilisant mon nouveau nom, « Ilona » ou son diminutif « Ili ». Personne n’allait plus m’appeler « Judit » ou « Juditka » pendant près d’un an. Maintenant, le jeu commençait pour de bon. Je devais devenir Ilona Papp, une fillette catholique, provisoirement séparée de ses parents dans la campagne hongroise.

Tenuous Threads

Chestnut Boulevard

My father was actively involved with the Hungarian Zionist Organization and, unlike other Hungarian Jews, he did not lull himself into a false sense of security, trusting that the “civilized” Germans and Hungarians would never harm the Jews. He believed the unbelievable stories of persecution told by the refugees from Nazi-occupied countries; he believed even the inconceivable accounts of concentration camps that the few escaped inmates had brought with them. That spring my father had managed to procure false documents for me. Were those documents copied or forged? In any case, they were my entry into the Christian Hungarian community. With the help of Mária Babar, a devout Catholic who had previously worked for our family, it was arranged for me to hide with the Ursuline nuns.

My mother had made a courageous and painful decision by taking this walk with me under the festive wild chestnuts toward the convent of the Ursuline nuns on Stefánia Street near the Városliget, the city park where I had played with my nanny only a few months before. My mother rang the outer bell on the gate of the tall, black iron railing that surrounded the convent. Behind it was a garden, where I seem to remember yellow dandelions dotting the shaggy grass that looked as though it badly needed a trim. When I recently managed to contact the Hungarian Ursuline nuns, they sent me the photograph of the convent building as it was in Budapest in 1944. My memory of the iron grill railing was accurate.

On the day my mother and I arrived at the Ursuline Mother House a strange woman in a black floor-length gown opened the gate. Only a patch of her face was visible under the stiff white band across her forehead to which a starched white bib-like collar was attached. There was no glimpse of hair under the black silk veil flowing from the band to below her shoulders and secured by a pin at the top of her head. 10 tenuous threads

It was the first time I had ever seen a nun this close up. My stomach seemed to constrict around a pebble I hadn’t swallowed. This is a feeling I remember distinctly, a sensation that returns whenever I confront an unavoidable crisis. She must have smiled as her hands escaped from the full sleeves of her ample dress to reach for mine because when I followed her along the path toward the yellow stucco two-storey villa, that pebble in my middle began to dissolve.

Surely my mother waved as she turned from the gate that closed behind me. We would not see each other again for more than a year. How did she say goodbye? She may have said something that ended in pipikém (my little chicken), her favourite endearment for me in Hungarian. I only remember feeling strangely relieved as she released me to follow on my own behind my new companion. From this black-clad woman’s waist swung a string of large beads ending in a cross that bounced at every lively step. When she opened the front door she had addressed me for the first time by my new name, “Ilona,” or its diminutive, “Ili.” Nobody would call me “Judit” or “Jutka” or “Juditka” for almost a year. The game now began in earnest. I was to become Ilona Papp, a Catholic child temporarily separated from her parents in the Hungarian countryside.

Retenue par un fil/Une question de chance, Judy Abrams, Eva Felsenburg Marx

Deux fillettes, nées à six mois d’écart et dans deux pays différents, sont plongées brutalement dans la tourmente et la terreur de la Deuxième Guerre mondiale. Filles uniques, elles connaissent des parcours remarquablement similaires, Judit en Hongrie et Eva en Tchécoslovaquie. Séparées de leurs parents, obligées de se faire passer pour des chrétiennes, confrontées à des situations qui les dépassent, les deux fillettes vivent une enfance qui restera marquée à jamais par l’Holocauste. Leurs mémoires évoquent de manière expressive et personnelle les parcours parallèles et néanmoins uniques de ces deux enfants qui ont survécu là où tant d’autres ont péri.

Préface de Mia Spiro

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En bref
Judy Abrams:
Hongrie
Enfant en clandestinité
Fausse identité
Immigration au Canada en 1949
Adaptation à la vie canadienne
Ressources éducatives disponibles: Enfants cachés
Judy Abrams
Eva Felsenburg Marx:
Tchécoslovaquie; Slovaquie
Clandestinité
Fausse identité
Immigration au Canada en 1949
Adaptation à la vie canadienne
Tranche d'âge recommandée
11+
Langue
Français

256 pages

À propos de l'autrice

Photo of Judy Abrams

Judy Abrams est née le 28 avril 1937 à Budapest (Hongrie), elle a immigré à Montréal en 1949. Elle a enseigné le français à l’École internationale des Nations Unies à New York. Judy et son mari vivent à Montréal.

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À propos de l'autrice

Photo of Eva Felsenburg Marx

Eva Marx est née le 21 octobre 1937 à Brno (Tchécoslovaquie, aujourd’hui en République tchèque). En 1949, elle a émigré à Montréal, où elle est devenue enseignante au primaire. Eva Marx réside à Montréal.

Tenuous Threads/One of the Lucky Ones, Judy Abrams, Eva Felsenburg Marx

Two Jewish girls born six months apart — Judit Grünfeld (Judy Abrams) in Hungary and Eva Felsenburg (Marx) in Czechoslovakia — are only children when they are thrown into the turmoil and terror of World War II. At seven, Judy’s mother leaves her at a convent where she must adopt a new Christian identity. Eva is first sent away at two, then again at six, in disguise and tearful. Separated from their parents, forced to “pass” as Christian children, coping with dangers they barely understand, these evocative and lyrical memoirs describe childhoods irrevocably marked by the Holocaust. Tenuous Threads and One of the Lucky Ones tell us the parallel but unique stories of two children who were able to survive when so many others perished.

Introduction by Mia Spiro

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Judy Abrams:
Hongrie
Enfant en clandestinité
Fausse identité
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Adaptation à la vie canadienne
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Judy Abrams
Eva Felsenburg Marx:
Tchécoslovaquie; Slovaquie
Clandestinité
Fausse identité
Immigration au Canada en 1949
Adaptation à la vie canadienne
Tranche d'âge recommandée
11+
Langue
Anglais

224 pages

À propos de l'autrice

Photo of Judy Abrams

Judy Abrams est née le 28 avril 1937 à Budapest (Hongrie), elle a immigré à Montréal en 1949. Elle a enseigné le français à l’École internationale des Nations Unies à New York. Judy et son mari vivent à Montréal.

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À propos de l'autrice

Photo of Eva Felsenburg Marx

Eva Marx est née le 21 octobre 1937 à Brno (Tchécoslovaquie, aujourd’hui en République tchèque). En 1949, elle a émigré à Montréal, où elle est devenue enseignante au primaire. Eva Marx réside à Montréal.