Chapitre 1

Les ghettos

Que faut-il pour qu’une pièce se transforme en une salle de classe? Des pupitres, des livres, des crayons et un enseignant? Des élèves prêts à commencer une journée d’apprentissage? Dans les différents ghettos d’Europe, un simple abri froid ou une pièce secrète pouvait faire office d’école. C’était l’endroit où les élèves se rendaient pour échapper aux espaces de vie réduits ou pour trouver de quoi manger ce jour-là.

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Dessin à l’encre d’élèves installés à de longs pupitres dans une salle de classe munie de deux petites fenêtres.

Croquis de Jacob Lifschitz intitulé Dans une école du ghetto. L’artiste n’a pas survécu à l’Holocauste. Archives photographiques de Yad Vashem, Jérusalem, 3380/720.

En 1939, les nazis ont établi le premier ghetto en Pologne. Plus d’un millier de ghettos ont suivi. Les Juifs ont été contraints de s’installer dans ces enclaves et ces quartiers surpeuplés, où ils ont été confrontés à la famine et aux maladies. Bien souvent, même les enfants devaient travailler pour obtenir le peu de nourriture qu’on leur accordait. Il fallait chaque jour lutter contre la violence et la mort.

Dans de nombreux ghettos, les jeunes Juifs n’avaient pas le droit d’aller à l’école. Il s’agissait de l’une des nombreuses restrictions imposées par les nazis, qui isolaient les Juifs et s’en prenaient à leurs institutions culturelles. Mais malgré les risques encourus et le manque de ressources, des organisations juives et des habitants des ghettos ont créé des écoles, pour la plupart clandestines. Ils essayaient d’offrir aux jeunes un endroit où ils pourraient s’instruire, se sentir en sécurité et oublier ce qui se passait autour d’eux.

Comment se déroulait l’école au sein d’un ghetto?

La vie dans le ghetto de Borszczów

« Nous étions entassés les uns sur les autres. Mes parents avaient un lit, tandis que je dormais sur une couverture par terre. Et ce n’était encore que le début. Nous recevions des rations de nourriture, mais jamais assez […]

[B]eaucoup de gens mouraient, dont certains de faim, notamment les plus petits enfants. J’avais toujours faim. Des épidémies de typhus et de dysenterie se propageaient et nous manquions toujours d’eau potable […]

Malgré les terribles conditions, mon père a insisté pour que j’étudie. Il a trouvé un enseignant, et cinq ou six d’entre nous ont pris place dans une petite pièce transformée en héder. Quand mon père annonçait qu’il fallait y aller, je n’avais pas le choix, il était impossible de négocier. J’avais peur ; nous risquions d’être fusillés si les nazis nous trouvaient en train d’étudier – c’était interdit. Toujours est-il que j’aimais étudier, car j’avais l’impression de faire quelque chose de bien, quelque chose qui en valait la peine. »

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Dans le ghetto de Varsovie

La résistance dans le ghetto de Varsovie

« Il se passait tant de choses terribles au ghetto de Varsovie en 1941 et pendant la première moitié de 1942 qu’il est impossible de les comprendre sans les avoir vécues. Et même si on en a été témoin, tout cela reste incompréhensible […]

La population opposait une certaine résistance aux nombreux interdits. Il existait, par exemple, des institutions clandestines : des journaux, des écoles, des universités où les professeurs avaient fait entrer secrètement du matériel de recherche, et où les étudiants suivaient des cours, certains en vue de devenir docteurs. »

Le saviez-vous ?

En établissant le ghetto de Varsovie en 1940, les nazis ont rendu illégale l’ouverture d’établissements scolaires. Quand, en 1941, ils ont permis à l’administration juive d’ouvrir des écoles, des écoles clandestines existaient déjà, et ce, depuis la création du ghetto.

Apprendre et enseigner dans le ghetto de Łódź

« L’école était un monde où la guerre et les Allemands n’existaient pas. Nous ne pensions plus au froid ni à la faim. Nous avions envie d’apprendre. Nos enseignants étaient gentils et nous comprenaient. Eux aussi avaient froid et faim. Ils étaient entièrement dévoués à leur travail, nous encourageaient et nous donnaient de l’espoir. Mais les écoles du ghetto n’ont été qu’éphémères. Les Allemands ne voulaient pas que les enfants juifs étudient, aillent à l’école, ni même s’amusent un tant soit peu. Tout le monde devait travailler et les enfants faisaient partie de la main-d’œuvre dès l’âge de 10 ans […] [Les écoles] sont donc devenues clandestines […] Je me suis vu attribuer un groupe de cinq enfants. Je leur donnais surtout des cours au travail pendant les pauses, étant donné qu’ils travaillaient dans la même usine que moi. C’est alors que je me suis promis que, si je survivais à la guerre, je consacrerais ma vie professionnelle à l’enseignement du yiddish. »

S’inquiéter au sujet des enfants

Rapport sur la question de l’éducation dans le ghetto de Varsovie, rédigé pour les archives Ringelblum en décembre 1941 :

« L’absence de toute forme d’éducation pour les enfants juifs constitue l’une des principales préoccupations de notre quotidien à Varsovie. Au cours des dix-huit derniers mois, nos enfants ont été privés de l’atmosphère si importante qu’est celle de l’école, les isolant du même coup de cette source de connaissances […] Le Conseil des Anciens de la communauté juive ne manquera pas d’aborder cette question avec toute l’attention requise et de demander aux autorités allemandes la permission de mettre en place un système scolaire. »

L’école clandestine du ghetto de Cracovie

« Chaque matin, nous nous réunissions dans le grenier d’une cordonnerie et nous recevions un enseignement presque individualisé dans cette “salle de classe” qui se résumait à deux bancs et une longue table. Nous avions comme matières l’anglais, les mathématiques et la géographie […]

Un danger nous guettait toutefois, parce que des membres de la police juive et de la police polonaise risquaient à tout moment de venir à l’atelier pour apporter des chaussures à réparer. Comme il aurait été désastreux pour tout le monde que l’école soit découverte, le cordonnier avait mis au point un système d’alarme. Lorsque la police arrivait, il frappait trois fois de suite sur une enclume métallique avec son marteau à chaussures. Dès que nous entendions ce signal, nous passions en “mode silencieux”. Quand nous pouvions à nouveau parler en toute sécurité, il frappait une fois sur l’enclume et nous pouvions reprendre notre cours. »

Une école rudimentaire en Transnistrie

« Mes parents ont appris qu’une certaine Mme Victor qui avait été enseignante vivait quelques taudis plus loin. Pendant un certain temps, je me suis rendue chez elle, avec quatre autres filles venues de divers endroits en Roumanie ; nous nous asseyions sur son plancher crasseux trois fois par semaine et elle nous enseignait la géographie et l’Histoire. Il n’y avait ni crayons ni papier. Nous étions le peuple du Livre sans livres. »

L’apprentissage d’un métier

Dans certains ghettos, les responsables juifs estimaient que, si les Juifs acquéraient des compétences techniques dans un métier, les nazis leur laisseraient la vie sauve.

Ils ont donc créé des écoles de formation professionnelle pour enseigner aux jeunes Juifs les compétences indispensables à l’effort de guerre allemand. Ainsi, les Juifs ont suivi des formations de métallurgistes, de charpentiers, de travailleurs du vêtement et d’électriciens. Ce type d’enseignement a plus tard permis à certains d’entre eux de rester en vie.

Le saviez-vous ?

À l’été 1943,

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enfants juifs âgés de moins de 17 ans travaillaient dans le ghetto de Łódź.

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Apprendre dans une école professionnelle du ghetto

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« Nous avions plusieurs cours dispensés en alternance le matin et l’après-midi. On y enseignait la théorie des métaux, le dessin industriel, et on y donnait des cours de culture clandestins consacrés à l’histoire de l’hébreu et des Juifs, sujets pourtant interdits par les Allemands.

Toutes ces activités me permettaient de faire abstraction de la seule pensée qui m’occupait l’esprit durant les trois années passées au ghetto : comment allais-je mourir ? »

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La vie culturelle à Theresienstadt

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« Plus tard, j’ai emménagé à la Mädchenheim, la maison des filles. Chaque dortoir comptait des châlits en bois, à trois niveaux superposés. Vivre en compagnie des autres enfants me plaisait. L’après-midi, les professeurs se tenaient au milieu de la pièce et nous enseignaient le programme de l’école secondaire. Chaque fois que l’élève qui faisait le guet à la porte annonçait la venue d’un inspecteur nazi, les livres disparaissaient sous les matelas et nous nous mettions à tricoter […] Nous étions avides de vivre aussi normalement que possible, mais dans nos petits rêves, nous tentions d’oublier la réalité. »

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Les principaux ghettos et camps

Dans quelle mesure les conditions de vie dans les ghettos et les camps nazis ont-elles affecté les jeunes Juifs et leur scolarité ?

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